Vocabulaire
de la Tradition chrétienne grecque et latine
des premiers siècles
de l'Eglise
Attitudes spirituelles
de la Tradition chrétienne
(Orient/Occident)
L'amérimnia est l’absence d’inquiétude,
l’absence de tout souci. C’est l’attitude de
celui qui confie ses soucis à Dieu et
s’abandonne à sa providence.
Cette attitude est louable, mais elle peut aussi
exprimer de la négligence
dans le comportement.
Le Nouveau Testament relève l’existence
de soucis louables :
le souci des choses de Dieu, la sollicitude
des membres les uns pour les autres :
manifestation de la charité pour
Dieu et pour le prochain.
Mais il y aussi les soucis qui ne dépassent pas
la sphère des intérêts corporels,
« les soucis de la vie présente »,
des soucis futiles et inutiles que
Jésus reprochait précisément à
Marthe, troublée et agitée,
alors que l’interdiction de nous tracasser
constitue un élément essentiel
de la morale chrétienne :
elle relève de la foi en Dieu tout-puissant,
sans qui rien ne peut nous arriver.
Il existe donc une bonne et
une mauvaise amérimnia.
La mauvaise imprévoyance est l’insouciance
voire le goût de la tranquillité.
Ce désir d’être sans souci matériel cache
en réalité un égoïsme qui conduit
alors à négliger le service du prochain
voire à négliger Dieu par une insouciance dans la prière.
La bonne imprévoyance consiste
à se soustraire aux soucis des hommes
et se souvenir de Dieu :
suivre le Christ comporte obligatoirement
l’abandon des soucis.
Celui qui est libre de soucis
ne s’inquiète pas mais accomplit tout
pour plaire à Dieu en toutes choses.
La bonne imprévoyance reste
un devoir pour tout chrétien.
Il existe finalement un souci inefficace
et une efficacité sans soucis !
Inversement, une certaine insouciance
est efficace et certaines inactions
pleines de soucis !
Le Seigneur déclare :
« Travaillez non pour la nourriture qui périt,
mais pour celle qui demeure
dans la vie éternelle »
(un travail sans soucis) ;
« qui , même en faisant tous ses efforts,
peut ajouter une seule coudée à sa taille ? »
(condamnation du souci inefficace) ;
« pourquoi vous inquiétez
pour le vêtement et la nourriture ? »
(insouciance efficace).
Le Seigneur nous indique comment travailler
sans souci mais en nous souciant
de l’efficacité, et libres de soucis,
éviter une activité qui ne nous convient pas.
L’anaisthèsia est l’insensibilité ;
le mot français ‘anesthésie’
fait référence à cette insensibilité physique
sous la main du chirurgien.
Il existe une bonne insensibilité :
c’est devenir insensible aux choses terrestres
pour devenir sensible aux choses de Dieu.
Elle conduit à ne plus être
susceptible aux contradictions,
moins désemparé devant les imprévus
de la vie, puisque les sensations
n’ont plus de prise sur les sens.
Cette insensibilité est une grâce de Dieu.
L’humilité, l’obéissance à la volonté de Dieu
et la charité en sont le fondement.
Il existe aussi une mauvaise insensibilité :
être insensible à la Parole de Dieu,
oublier ses péchés
et oublier la bonté de Dieu.
Dans l’Evangile, Jésus guérit
l’aveuglement du cœur,
la surdité de l’âme, la paralysie des membres,
qui sont autant d’exemples
d’insensibilité physiques,
signes de l’insensibilité spirituelle.
Les moyens de lutter
contre cette mauvaise insensibilité sont
de lire la Parole de Dieu, de prier.
Dieu agit alors, délivre de cette insensibilité
en ouvrant le cœur et la grâce divine
habite alors pleinement l’âme.
Le Ponos est le travail, le labeur,
la peine et la fatigue.
C’est ce qui définit la condition humaine
depuis le péché originel.
Le confort corrompt l’homme,
il porte à l’oubli de Dieu.
Tout bien exige le labeur
et seul Dieu peut travailler sans fatigue.
Chez les Pères monastiques,
le Ponos est aussi le travail spirituel,
la dure recherche de Dieu
dans une prière persévérante.
Ce labeur exige de l’humilité, de la patience
et de la persévérance.
Le labeur est aussi celui de la prière :
il ne faut pas se relâcher et
demander des forces à Dieu pour l’accomplir.
Isaac le Syrien insiste sur la nécessité
du labeur pour progresser spirituellement :
« la voie de Dieu est une croix quotidienne.
Nul n’est jamais monté au ciel confortablement ».
L'Amélia signifie
la négligence et l’insouciance.
Saint Paul invite Timothée à
ne pas négliger le don spirituel
qui est en lui et l'exhorte à
ne pas négliger son salut.
L’homme doit bannir toute négligence
à l’image de ce champ laissé en friche :
plus on le néglige, plus il se couvre d’épines
et de chardons, et quand on veut
le nettoyer, plus il est rempli d’épines,
plus le sang coulera des mains de celui
qui veut arracher ces mauvaises herbes
que la négligence a laissé pousser.
La négligence est inspirée
par le démon ; elle naît du découragement
et fait perdre le souvenir de Dieu.
Il faut se rappeler que Dieu nous regarde
dans chacune de nos actions :
il ne faut donc pas être négligent
jusque dans les plus petites choses
accomplies chaque jour pour nous-mêmes
ou pour les autres. Il ne faut pas non plus
négliger son âme puisque l’âme négligente
rouille comme le fer inutilisé :
au contraire l’âme doit chercher
à toujours demeurer en Dieu.
L'Apotagè signifie le renoncement.
Le renoncement est une libération
des affaires humaines qui nous rend
plus aptes à prendre le chemin de Dieu,
un transfert du cœur humain vers
une conversation céleste,
c’est le commencement
de la ressemblance au Christ.
L’Apotagè est la conséquence
de la conversion : renoncer à
une vie matérielle et à soi-même,
accepter l’autre, sans vouloir
imposer sa volonté.
Le vrai renoncement doit être
un total oubli de soi, pour être livré
entièrement au travail de Dieu.
Le renoncement est alors
chemin de sainteté :
« On n’a rien donné
quand on n’a pas tout donné ».
La Parrhésia, dans les épitres de Saint Paul,
a un premier sens apostolique :
elle désigne l’attitude du chrétien
qui témoigne audacieusement de sa foi,
qui parle sans crainte, avec assurance.
La Parrhésia a un second sens spirituel :
elle désigne l’attitude du croyant
qui s’adresse à Dieu
avec une confiance filiale,
sûr qu’il est d’être exaucé :
c’est le chrétien qui s’adresse à Dieu
et ose lui dire « Notre Père ».
C’est l’audace intelligente de la Foi.
Mais, cette liberté de langage ne doit pas
être excessive : elle deviendrait alors
familiarité déplacée et manque de respect
conduisant à l’indécence envers Dieu
ou entre les hommes.
Cette Parrhésia conduirait à un manque
de discrétion, à un sans-gêne qui
rendraient alors la vie
en communauté insupportable.
Seule la courtoisie, la politesse, l’attention,
le contrôle de soi, la délicatesse et
la réserve permettent de lutter
contre cette mauvaise Parrhésia
et font régner la charité.
La Nèpsis est l’état de sobriété, de vigilance.
C’est l’attitude d’une âme bien éveillée,
bien présente à elle-même et à Dieu,
vigilante et attentive à ne pas se laisser
surprendre par le démon, qui cherche
à s’introduire dans l’esprit ou le cœur :
« soyez sobres, veillez.
Votre adversaire, le diable,
comme un lion rugissant,
rôde, cherchant qui dévorer »
(1, Pierre, 5-8).
C’est une vigilance dans le repos.
C’est aussi une sobriété dans les repas
et les propos : elle se traduit par exemple
par la sobriété du langage
(ne pas aimer trop parler),
la sobriété de la lecture
(éviter la lecture sans discernement)…
Elle s’impose aussi dans la liturgie
puisqu’il faut s’appliquer à faire
attention aux paroles qu’on prononce
dans la prière pour être davantage
attentif à Dieu.
Cette vigilance a pour origine et
pour but, la charité : elle permet
d’éviter le mensonge,
la rancune ou les mauvaises habitudes…
La Nèpsis est une grâce,
un don de Dieu : il faut supplier Dieu de nous
accorder un esprit éveillé, un cœur qui veille.
Elle n’est pas une fin en soi mais
elle favorise la connaissance de Dieu
et la contemplation :
elle permet l’attention à Dieu.
L’Upomonè est le fait de ne pas fléchir,
de tenir bon. C’est la constance,
la persévérance, l’attitude d’attente confiante
qui permet de soutenir une épreuve
sans broncher et de résister aux tentations.
Il s’agit d’une vertu fondamentale
du chrétien liée à l’espérance
de la vie éternelle. Cette patience
est le meilleur remède contre l’acédie ;
elle doit être pratiquée
dans la joie et l’action de grâce.
L’Upomonè est aussi le refus
du découragement dans la quête de Dieu :
elle s’accompagne de foi, d’espérance
et de charité.
Dieu seul donne la victoire mais
il nous faut tenir dans le combat.
Même si les déceptions entament
la vivacité de la foi, ou que les misères
de l’âge rendent la patience difficile
ou encore que les épreuves inattendues
se succèdent, il faut aller
jusqu’au bout de la course :
« sois fort et tiens bon », dit Yavhé à Josué.
Spécialement dans les Psaumes, l’Acédie
signifie l’abattement, le découragement,
l’accablement, la lassitude de l’homme
éprouvé par la maladie ou
persécuté par les méchants.
L’acédie est une attitude spirituelle
qui se traduit par un dégoût du travail
et de la prière, qui fait perdre le sens
de la vie en causant tristesse, paresse
et ennui et conduit à la négligence.
Il faut distinguer l’acédie qui provient
d’une activité excessive qui a épuisé
le corps et qui doit conduire au repos,
de l’ennui qui provient du démon
qui pousse l’homme à tout abandonner.
Il faut alors remédier à ce dernier état
par la persévérance et par la prière,
en développant les vertus de
patience et d’endurance.
Tout chrétien doit lutter contre l’acédie,
quitter ce manque d’entrain,
retrouver la joie de vivre
pour Dieu, afin de devenir
un membre heureux de l’Eglise.
L’anachorète est celui qui vit seul,
séparé du monde. Dans l’Ancien Testament,
c’est la fuite pour échapper au danger :
Moïse s’enfuit pour échapper à Pharaon
ou David échappe à Saül.
Dans le Nouveau Testament aussi se trouve
cette idée de fuite pour échapper
à une arrestation : Jésus se retire souvent
dans un lieu solitaire à l’écart.
L’anachorèse est donc utile pour échapper
au tracas du monde : elle ne peut se faire
sans le recours au Seigneur et
accompagnée de prières,
elle fait battre le diable en retraite.
Pour devenir chrétien, il faut apprendre à se
dépouiller par la parfaite retraite
et la totale renonciation.
La Prosochè est l’attention,
qui ne s’oppose pas seulement à la distraction
mais consiste à percevoir le message
de l’Invisible à travers le visible.
L’attention est celle des sens
(tendre l’oreille, fixer les yeux…)
mais aussi celle du cœur spécialement
à deux occupations spirituelles :
le rite liturgique (l’Opus Dei) et
les textes bibliques (la lectio divina).
La Prosochè (l’attention) doit être
rapprochée de la Proseuchè (la prière) :
en effet, l’attention s’acquiert
par la prière et la prière engendre l’attention
puisque c’est par l’oraison
que l’on devient attentif à Dieu.
Cette attention est aussi une attention
à soi-même : être attentif à être
miséricordieux, à lutter contre ses passions,
purifier ses pensées…
A l’inverse, l’inattention endurcit le cœur.
Devenu maître de notre attention
à nous-même, nous pouvons alors
l’arrêter sur les maux des autres :
nous apprenons à les soulager
et à les prévenir, distillant l’Amour.
Devenu attentif à la vie, nous portons
une attention à Dieu qui est
l’attention de Dieu en nous.
Eutrapélia ou la vertu de la détente.
L’art de plaisanter et d’être de bonne humeur !
Elle est la force des caractères
délibérément enjoués,
le secret des personnes dont on envie
la joie spirituelle de vivre tandis
qu’on sait les épreuves silencieuses
qui les marquent.
"L’eutrapélie" offre à l’âme et au corps,
au sein même des difficultés, la détente qui
les sauve du dépérissement.
Cet art de la détente,
cette vertu de la distraction, offerte avec cœur,
allège considérablement
la gravité ombrageuse des actes
et des propos.
Plus qu’un don ou un talent,
l’eutrapélie est une vertu offerte
à quiconque veut en jouir.
Elle manque parfois si douloureusement
dans la vie privée
comme dans la vie professionnelle...
Elle suppose l'aptitude psychologique et
la disposition spirituelle de ne pas prendre
d'abord les choses au premier degré.
Un certain manque de recul
contemporain dans les relations humaines,
la rend rare aujourd'hui !
Comme le rappelle le Père
H. Caffarel avec poésie :
« Elle a sa source au centre de l’âme.
Elle possède d’ailleurs des nuances variées :
tantôt discrète, elle s’offre comme
une lumière ; rieuse, elle nous entraîne
dans sa ronde ; conquérante,
elle arrache au spleen ; pénétrante,
elle réchauffe les terres glacées »
(P. Henri Caffarel,
L’Anneau d’Or, n° 8, mai 1946).
L’eutrapélie
est une vertu reposante,
l’excellence du délassement.
D’une part, elle dissipe les tensions
qui résultent d’un manque de détente;
d’autre part, elle modère
les excès dans le jeu et la recherche
trop grossière du plaisir.
Sa pratique apporte donc
un équilibre appréciable dans
une vie humaine et spirituelle.
Elle est la marque d'une personne libre,
non pas d'abord formatée
par une éducation qui a contraint une humanité
malhabile et gentiment étriquée,
en même temps que le signe d'une belle âme
qui s'est laissée apprivoiser
par la grâce de Dieu
jusque dans son intelligence.
Elle témoigne d'un équilibre
entre une belle nature et un esprit fin,
l'héroïsme discret qui se refuse
de faire payer aux autres
les affres de ses difficultés personnelles.
Fiducia, la confiance...
Du latin "Se fier ensemble" ;
la confiance est une attitude
vivement recommandée dans les
enseignements spirituels
des premiers siècles de l'ère chrétienne.
Confiance en Dieu,
Confiance en Soi,
Confiance dans les autres.
Elle s'oppose à la défiance, à la méfiance.
Avoir confiance en Dieu,
Avoir confiance en l'Eglise,
Faire confiance à la Providence de Dieu.
La confiance ne bannit pas la réflexion
ni la précision de l'esprit d'analyse !
"Tu ne peux avoir Dieu pour Père
Si tu n'acceptes pas d'avoir l'Eglise
pour mère"
(Saint Cyprien IIIème siècle)
Dans le nouveau Testament,
Anapausis a toujours un sens positif
et désigne la cessation
d’une activité, le repos compensateur,
la halte après l’effort,
la pause après la fatigue.
Le Christ appelle ceux qui sont las
à venir à lui ; il invite souvent ses disciples
à se reposer.
Il s'agit pour nous d'apprendre à
"se reposer en Dieu",
à prendre son repos
avec et en Dieu !
Le repos est un don de Dieu,
donné par la foi et l'amour du silence.
C’est le repos de l’âme en Dieu,
(l’âme habitée par l’Esprit trouve la quiétude)
et le repos de Dieu en l’âme
(le Christ établit chez nous sa demeure).
Le repos n’est pas synonyme
de bien-être, de négligence ou de confort.
Paradoxalement, il peut requérir
beaucoup d’efforts…
Il s’acquiert par l’obéissance,
l’humilité, l’habitude
de s’accuser soi-même et
l’acceptation des peines.
Une fois le repos obtenu, il ne faut alors pas
avoir de scrupules en pensant
que seules les tribulations
permettent d’entrer dans
le Royaume des cieux
mais bien au contraire vivre dans la joie,
obéissant en tout point à la volonté de Dieu
dans l'action de grâces.
Le repos de l'âme est dans la gratitude habituelle...