Les Grâces gratuites ou Charismes
"gratia gratis data"
(la grâce gratuitement donnée)
La Grâce divine accorde des dons à certains hommes qui les mettent en mesure de contribuer efficacement à la sanctification de leurs semblables. C’est ce qu’on appelle les « grâces gratuites ».
Cette appellation de grâce gratuite est imparfaite puisque par définition toute Grâce est un Don gratuit. Le terme de « Charismes », qui signifie « Grâce » évite la confusion. Ce sont les Dons surnaturels qui confèrent des aptitudes spéciales pour travailler au salut d’autrui par opposition aux secours qui ne vient directement qu’à la sanctification personnelle.
La différence entre les Charismes et les Vertus théologales ou morales, réside dans le fait que les Charismes peuvent être concédés sans égard pour la Grâce sanctifiante et s’exercer même en son absence. L’homme qui en est revêtu n’est qu’un instrument dont Dieu décide de se servir en faveur d’autres âmes. Et Dieu choisit des êtres sinon d’une éminente sainteté, du moins dignes du respect de tous. Mais ce critère n’est pas dirimant : une personne très édifiante peut ne pas posséder de charisme spécial et une autre fort peu exemplaire en être dotée.
Les Charismes se classent d’après leurs effets en 3 catégories : la Prophétie : une connaissance exceptionnelle de la Vérité divine ; le « Don des langues » ceux qui permettent de propager la Pensée de Dieu au-delà de ce que pourraient les moyens normaux de la nature humaine ; le pouvoir « d’accomplir des miracles » sous quelque forme que ce soit.
I. La Prophétie
1. Sa nature
Le langage courant identifie « Prophétie » et « prédiction de l’avenir ». Si le Prophète prévoit et prédit certains événements futurs, ce n’est jamais que de manière très limitée : car tout l’avenir ne lui est pas dévoilé. Il peut même rester Prophète sans rien discerner et révéler du lendemain.
Son domaine est l’au-delà, secret exclusif de Dieu. Etymologiquement, « prophétiser » veut dire « parler à la place de quelqu’un ». Le Prophète est donc « l’interprète de Dieu », délégué par Lui pour manifester aux hommes quelque chose de ce que Lui seul peut connaître. « Ecoutez ce que dit le Seigneur… », telle est la formule dont les Prophètes ont soin de faire précéder leurs oracles.
La Prophétie étant un charisme ce n‘est pas pour son avantage personnel que le prophète est informé mais pour instruire le peuple. La Prophétie n’est pas un habitus vertueux, une qualité qui resterait constamment à la disposition de l’âme : ce n’est qu’une illumination temporaire et transitoire que Dieu accorde et retire à discrétion.
Elle n’est pas non plus la « Lumière de gloire », grâce à laquelle l’âme contemple Dieu face à face. Elle n’est qu’une communication très limitée de la pensée et des desseins de Dieu, au gré de Dieu qui proportionne sa révélation aux circonstances particulières du temps, de lieu, de personnes, établies par sa Providence.
2. Objet de la Prophétie
Tout ce qui dépasse les moyens d’investigations de l’intelligence humaine peut donner lieu à une Prophétie : la vie intime de Dieu, le mystère de la Trinité, puis ses desseins, tels que la prédestination ; ensuite le monde des esprits, les secrets de l’âme (car la conscience est inviolable et Dieu seul la connaît) ; enfin l’avenir (le Prophète est capable de prédire : le messager qui dit vrai sur l’avenir qui se réalisera devient prompt à être cru sur ce qu’il dit alors de l’au-delà).
3. Mode d’opération de la Prophétie
Le but de la Prophétie est de porter la Vérité divine à la connaissance de l’intelligence humaine. Dieu agit sur ses créatures sans violenter leur nature, conformément à leurs aptitudes respectives. Il est indiscutable que Dieu pourrait procurer immédiatement à l’homme des espèces intelligibles, c’est-à-dire des idées toutes faites, mais Il préfère instruire ses Prophètes au moyen d’images empruntées à la vie sensible et Il leur demande de parler à leur tour un langage humain.
Les visions prophétiques sont généralement des représentations tirées du monde matériel, dont une lumière spéciale permet de discerner la véritable signification spirituelle.
4. Qui est Prophète ?
Les communications de Dieu aux hommes se font par les Anges. Parfois, par les démons mais s’ils révèlent des choses vraies, c’est pour gagner la confiance des hommes et mieux les berner.
Comment alors discerner que la Prophétie vient de Dieu ? Dieu en a révélé le secret à Ste Catherine de Sienne : « Les Prophéties qui viennent de Moi (Dieu) inspirent d’abord la terreur, mais s’achèvent dans un sentiment de sécurité. C’est tout le contraire pour les visions qui proviennent de l’ennemi : elles commencent dans la joie et la douceur, mais finissent dans l’amertume et l’angoisse ».
« Et voici un signe plus infaillible encore ! Puisque je suis la Vérité, les visions qui viennent de Moi apportent toujours une connaissance plus claire du Vrai ; l’âme apprend alors à Me connaître et à se connaître elle-même ; elle Me voit et se voit, pour M’honorer et se mépriser. C’est-à-dire qu’elle grandit en humilité. Tandis que l’ennemi est le père du mensonge et le prince de l’orgueil : aussi excite-t-il l’âme à l’estime de soi, et à la présomption. »
5. Diverses formes de la Prophétie
- Selon leur objet : La Prophétie de menace annonce un châtiment subordonné à la conduite d’une personne ou d’un peuple (comme celle que Jonas lance à Ninive). La Prophétie de prescience prédit les effets de causes contingentes, tels que les actions des hommes. Quand elle donne l’assurance anticipée du salut d’une âme humaine, elle prend le nom de Prophétie de prédestination.
- Selon leur expression : les Prophéties intellectuelles donnent une connaissance intellectuelle de la Vérité divine, sans le concours de représentations sensibles, le plus proche de la vision béatifique ; dans les Prophéties imaginatives, Dieu se révèle tantôt pendant le sommeil, sous forme de songes, tantôt à l’état de veille avec ou sans extase.
6. Les Prophètes du Christianisme
En principe, il est loisible à Dieu de choisir qui Il Lui semble. En fait, Dieu ne parle aux hommes que pour se faire connaître d’eux. Et il a procédé par révélations successives, auxquelles son Verbe en personne vient apporter le dernier mot.
Il a parlé par les Patriarches : Abraham et ses descendants qui proclament la notion fondamentale d’un Dieu unique et personnel, pur Esprit et Créateur de toutes choses ; Maître de l’univers et Juge de l’humanité. Puis vient Moïse qui transmet au peuple d’Israël la Loi ; Moïse est un délégué qui ne fait rien de son initiative personnelle mais a été choisi presque malgré lui par Dieu.
Tous les Prophètes qui se sont succédés, loin de se présenter en leur propre nom comme des Maîtres impatients de faire école, arguent de leur indignité ou de leur incapacité, tandis que des prodiges éclatants viennent apposer la signature de Dieu. Jean-Baptiste, le dernier des Prophètes qui précèdent la Christ déclare qu’il n’est qu’ « une voix », un « envoyé de Dieu ».
Jésus-Christ est le « Grand Prophète » : il ne craint pas d’avouer que « son enseignement n’est autre que celui du Père céleste qui L’a envoyé. » En Lui se concentrent toutes les Prophéties : il suffit de bien connaître le Fils pour connaître Dieu.
Les Apôtres se réfèrent à la doctrine du Christ : Prophètes à leur tour, non pas en ce qu’ils révèlent des choses nouvelles, mais parce qu’ils parlent au nom du Fils de Dieu.
Et l’Eglise, dans son magistère infaillible est constituée Prophète de Dieu et de son Christ. Sans rien ajouter au dépôt qui lui est légué, sans jamais permettre non plus qu’il y soit retranché ou modifié quoi que ce soit, elle l’explicite sans cesse, en explique au besoin les passages obscurs et s’efforce de le faire entendre à tous les hommes avides d’éclairer le grand mystère de la vie. Ce ne sera jamais qu’une réédition de vérités déjà annoncées.
7. Le ravissement
Le ravissement est l’état d’un être humain momentanément transporté, au moins par l’intelligence sinon avec les sens, dans un domaine supra-terrestre.
On le confond souvent avec l’extase et on peut lire dans la vie des Saints : « ravi en extase ». Mais ce sont deux choses différentes par leur origine comme par leurs effets.
L’extase est une défaillance corporelle, une neutralisation de la vie sensible, consécutive à la véhémence des pensées ou des sentiments de l’âme.
Le ravissement se produit sous l’action d’une puissance extérieure et supérieure. De peur que le tumulte des choses terrestres ne nuise à l’attention indispensable pour saisir la pensée divine ou bien pour parer au danger d’erreurs et d’illusion, Dieu isole momentanément l’esprit du Prophète : Il le transporte jusqu’à Lui pour en faire son confident secret et exclusif. Il fait en sorte que l’intelligence humaine perde le contact avec le créé et soit tout entière tendue vers le divin.
II. Les Charismes de la Parole
La Prophétie est bien le premier des Charismes de la Parole, puisque le Prophète est par définition celui qui parle au nom de Dieu. Il existe aussi des « Grâces de Parole », distinctes de la Prophétie, proprement dite.
1. Le Don des Langues
Le Don des langues conféré aux Apôtres par la venue de l’Esprit-Saint le matin de la Pentecôte leur a permis de donner à leur enseignement une efficacité immédiate. Quel temps ils auraient perdu, s’ils avaient dû apprendre toutes les langues de la terre. Ce précieux Charisme leur a permis d’instruire en quelques heures ces pèlerins accourus de toutes les régions et parlant des dialectes les plus divers.
L’Apôtre St Paul fut probablement gratifié du même Don. Et on peut aussi voir un véritable Don des Langues, cette facilité stupéfiante dont sont dotés certains missionnaires pour assimiler les langues étrangères.
Par sa nature le Don des Langues est inférieur à la Prophétie par laquelle l’Esprit humain est informé de la Vérité divine.
2. Le Don de la Parole
Il ne faut pas confondre ce Don avec celui dont sont dotées certaines personnes qui peuvent s’exprimer avec fougue ou élégance et tenir les foules suspendues à leurs lèvres. Dieu peut utiliser cette éloquence naturelle qui est, comme toute qualité humaine, un don de sa libéralité.
Le Don de la Parole est un Don surnaturel, qui inspirera à l’Apôtre les vérités à énoncer et la manière de les exprimer selon les circonstances de temps et de personnes, puis lui donnera des accents pénétrant pour fouiller les intelligences, les volontés et les cœurs et les pénétrer.
C’est l’une des formes de la « Grâce de conversion ». Elle passe par l’Apôtre et portée par lui, s’en va toucher les âmes que Dieu désigne. Le St Curé d’Ars avait reçu ce Don de la Parole.
III. Le Don des Miracles
1. Sa nature
Le Miracle, fait extraordinaire survenant à l’encontre des lois de la nature, signale l’intervention d’une puissance étrangère et supérieure à la nature.
Ainsi, Dieu commence par s’imposer aux sens. L’observation d’un phénomène inaccoutumé retient leur attention. Puis la raison, habituée à remonter des effets à la cause, cherche les motifs d’un tel événement. « Ceci dépasse les forces de l’homme, même décuplées par ses interventions ; donc le doigt de Dieu est là », conclut-elle.
Puis celui qui est l’instrument du miracle parle. Et son langage, comme son geste est prodigieux. Son pouvoir suspend momentanément le cours des lois naturelles, et sa doctrine surpasse tout enseignement humain : Dieu, après avoir agi par les mains du thaumaturge, parle par ses lèvres.
2. Son but
C’est pour accréditer ses Messagers que Dieu les gratifie du Don des Miracles. Directement ou indirectement les miracles ont pour but d’amener les hommes à la connaissance de la Vérité.
Ce Don n’a pas pour but de témoigner en faveur du délégué de Dieu et de sa valeur personnelle, mais seulement de montrer le Dieu qui le délègue et sa souveraine Autorité.
2. Vrais et faux miracles
Il y a lieu d’étudier avec beaucoup de circonspection les « faits extraordinaires » accomplis par des hommes d’une moralité douteuse et plus encore par Satan, le « Père du mensonge ».
« Méfiez-vous des faux prophètes ! », recommandait le Christ. Mais la difficulté, c’est que rien ne ressemble mieux à un vrai Prophète qu’un faux prophète ! Chez les uns et les autres, même force d’affirmation, même revendication d’une inspiration divine, même pouvoir qui étonne. Et le commun des hommes, si prompt à ne juger que sur les apparences, ne fait guère le discernement entre le miracle authentique accordé à la prière d’un Saint et les réussites d’un guérisseur, d’un prestidigitateur ou d’un fakir.
C’est ensuite que les fruits laissent apparaître leur véritable qualité : l’enseignement qui prétend s’appuyer sur le prodige est-il dans la ligne de la Vérité révélée par Dieu et conservée par son Eglise ou bien au contraire cherche-t-il à en détourner les esprits ? Les instruments et les bénéficiaires du miracles sont-ils devenus plus vertueux, plus attachés à Dieu, ou bien au contraire sont-ils relâchés, adonnés au vice et entraînés vers des idoles ?
Dieu ne veut que le progrès dans le Bien et le salut des hommes. Et s’il décide d’accomplir un geste extraordinaire, ce n’est que pour imprimer à ces grands mouvements un élan exceptionnel. Dès lors tout ce qui produit un effet opposé, manifestement ne vient pas de Lui ; c’est l’œuvre sournoise du Mauvais.
Ainsi note Pascal : « les miracles aident à discerner la doctrine et la doctrine permet de discerner les miracles ».
3. Don des Miracles et Sainteté
Si le Don des Miracles est ordinairement l’apanage des Saints, il n’est pas un signe indispensable de la sainteté, du moins pendant la vie terrestre. Pour proclamer officiellement la sainteté après la mort, l’Eglise exige ces preuves tangibles que sont les miracles, et que les faits qui sont censés dénoter une intervention extraordinaire de Dieu par l’intercession de l’un de ses élus, font l’objet d’un procès extrêmement serré. Mais un grand nombre de ces Saints n’ont accomplis aucun miracle durant leur vie terrestre.
Et beaucoup de saintes personnes ont vécu dans l’Amour de Dieu sans que jamais le Don des Miracles, ni sur terre ni au ciel vienne illustrer leur Sainteté.
Le Don des Miracles, est indépendant de la Sainteté et lui reste bien inférieur. Séduisant par ses effets, il parait enviable, mais risque alors de nourrir l’ambition et la vaine gloire au détriment de la Charité, donc en opposition flagrante avec la Sainteté.
C’est dans ce sens qu’il était convoité par Simon le Magicien et c’est pourquoi il fut maudit.
In Initiation à la Théologie
de Saint Thomas d'Aquin
R. P. Raphaêl Sineux O. P.
Desclée et Cie 1979