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Guillaume de Saint Thierry
(1085-1148)

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Guillaume nait à Liège entre 1075 et 1080. 

Répondant à ce mystérieux et irrésistible appel de Dieu, qui est la vocation à la vie consacrée, Guillaume entre au monastère bénédictin de Saint-Nicaise à Reims en 1113 et, quelques années plus tard, il devient abbé du monastère de Saint-Thierry, dans le diocèse de Reims. Au cours de cette période, l'exigence de purifier et renouveler la vie monastique, pour la rendre authentiquement évangélique, était très répandue. Guillaume agit en ce sens à l'intérieur de son propre monastère, et en général, dans l'Ordre bénédictin. Toutefois, il rencontre de nombreuses résistances face à ses tentatives de réforme, et ainsi, malgré le conseil contraire de son ami Bernard de Clairvaux, il quitte l'abbaye bénédictine en 1135, laisse l'habit noir et revêt l'habit blanc, pour s'unir aux cisterciens de Signy. A partir de ce moment jusqu'à sa mort, survenue en 1148, il se consacre à la contemplation priante des mystères de Dieu, et à la composition d'écrits de littérature spirituelle, importants dans l'histoire de la théologie monastique.

L'une de ses premières œuvres est intitulée De natura et dignitate amoris (La nature et la dignité de l'amour). On y trouve exprimée l'une des idées fondamentales de Guillaume : l'énergie principale qui anime l'âme humaine est l'amour. La nature humaine, dans son essence la plus profonde, consiste à aimer. En définitive, une seule tâche est confiée à chaque être humain : apprendre à aimer, sincèrement, authentiquement, gratuitement. Mais ce n'est qu'à l'école de Dieu que cette tâche est remplie et que l'homme peut atteindre l'objectif pour lequel il a été créé.

 

Dans d'autres œuvres également, Guillaume parle de cette vocation radicale à l'amour pour Dieu, qui constitue le secret d'une vie réussie et heureuse, et qu'il décrit comme un désir incessant et croissant, inspiré par Dieu lui-même dans le cœur de l'homme. Dans une méditation, il dit que l'objet de cet amour est l'Amour avec un « A » majuscule, c'est-à-dire Dieu. C'est lui qui se déverse dans le cœur de celui qui aime, et qui le rend capable de le recevoir. Il se donne à satiété et de manière telle, que le désir de cette satiété ne fait jamais défaut. Cet élan d'amour est l'accomplissement de l'homme (De contemplando).

 

On est frappé par le fait que Guillaume, en parlant de l'amour pour Dieu, attribue une grande importance à la dimension affective. Au fond, notre cœur est fait de chair, et lorsque nous aimons Dieu, qui est l'Amour lui-même, comment ne pas exprimer dans cette relation avec le Seigneur également nos sentiments très humains, comme la tendresse, la sensibilité, la délicatesse ? Le Seigneur lui-même, en se faisant homme, a voulu nous aimer avec un cœur de chair ! Selon Guillaume, ensuite, l'amour a une autre propriété importante : il éclaire l'intelligence et permet de connaître mieux et de manière plus profonde Dieu, et en Dieu, les personnes et les événements :

on connaît Dieu si on l'aime !

 

Une synthèse de la pensée de Guillaume de Saint-Thierry est contenue dans une longue lettre adressée aux chartreux de Mont-Dieu, auxquels il avait rendu visite et qu'il voulut encourager et réconforter.

Dans ce traité, Guillaume propose un itinéraire en trois étapes. Il faut — dit-il — passer de l'homme « animal » à l'homme « rationnel », pour arriver à l'homme « spirituel ». Que veut dire notre auteur par ces trois expressions ? Au début, une personne accepte la vision de la vie inspirée par la foi par un acte d'obéissance et de confiance. Puis à travers un processus d'intériorisation, dans lequel la raison et la volonté jouent un grand rôle, la foi dans le Christ est accueillie avec une conviction profonde et l'on fait l'expérience d'une correspondance harmonieuse entre ce que l'on croit et ce que l'on espère et les aspirations les plus secrètes de l'âme, notre raison, nos sentiments d'affection. On parvient ainsi à la perfection de la vie spirituelle, lorsque les réalités de la foi sont une source de joie intime et de communion réelle et satisfaisante avec Dieu. On ne vit que dans l'amour et par amour. Guillaume fonde cet itinéraire sur une solide vision de l'homme, inspirée par les antiques Pères grecs, surtout d'Origène, lesquels avaient enseigné avec un langage audacieux que la vocation de l'homme est de devenir comme Dieu, qui l'a créé à son image et ressemblance. L'image de Dieu présente dans l'homme le pousse vers la ressemblance, c'est-à-dire vers une identité toujours plus complète entre la volonté propre et la volonté divine. A cette perfection, que Guillaume appelle « unité d'esprit », on ne parvient pas par l'effort personnel, même sincère et généreux, parce qu'une autre chose est nécessaire. On atteint cette perfection par l'action de l'Esprit Saint, qui vient habiter l'âme et purifie, absorbe et transforme en charité tout élan et tout désir d'amour présent chez l'homme.

Cet auteur, que nous pourrions définir comme le « Chantre de l'amour, de la charité », nous enseigne à faire dans notre vie le choix fondamental, qui donne un sens et une valeur à tous les autres choix: aimer Dieu et, par son amour, aimer notre prochain ; c'est uniquement ainsi que nous pourrons rencontrer la joie véritable, anticipation de la béatitude éternelle.

Sa vie
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Extraits d'écrits

Extraits d'écrits

 

 

L’âme raisonnable a été créée

par Dieu et pour Dieu,

afin de se retourner vers Lui

et de trouver en Lui son bien.

C’est de ce Bien qu’elle tire sa bonté.

Elle a été faite à son image

et à sa ressemblance pour s’approcher

par sa ressemblance,

tant qu’elle vit sur la terre,

le plus près possible,

le plus parfaitement possible,

de Celui dont on ne s’éloigne

que par la dissemblance

et par là devenir sainte

comme Dieu est saint et obtenir un jour

la béatitude que Dieu lui-même possède.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 51)

Toute la perfection de l’homme

consiste à ressembler à Dieu.

Ne pas vouloir être parfait, c’est s’égarer.

C’est pourquoi il faut toujours

nourrir la volonté et préparer l’amour

pour obtenir cette perfection.

Il faut empêcher l’amour de se dissiper

au milieu des choses étrangères,

et préserver l’amour des souillures.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 62)

Pour qu’il ne manquât rien à l’âme humaine,

le Créateur lui donna une volonté,

libre de suivre l’une ou l’autre direction.

Losqu’elle s’accorde avec la grâce

qui la soutient, elle reçoit et le progrès

et le nom de vertu et elle devient amour.

Lorsque, abandonnée à elle-même,

elle veut jouir d’elle-même selon son caprice,

elle éprouve en elle-même

a propre faiblesse, et elle revêt autant

de noms qu’elle a de vices :

cupidité, avarice, luxure, et autres désordres.

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 4)

Celui avec qui Dieu est,

n’est jamais moins seul

que lorsqu’il est seul.

Il goûte alors en toute liberté sa joie,

alors il est à lui-même pour jouir

de Dieu en lui et de lui en Dieu.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 10)

Malheur à celui qui est seul, déclare Salomon.

Vraiment, malheur à moi qui suis seul

si tu n’es pas avec moi

ou si je ne suis pas avec toi.

Heureux, bienheureux, Seigneur

je me trouve si je sens que tu es avec moi.

Mais je me dégoûte et me déteste

chaque fois que je m’aperçois

que je ne suis pas avec toi.

Aussi longtemps que je suis avec toi,

je suis également avec moi.

Mais dès lors que je ne suis plus avec toi,

je ne suis plus non plus avec moi.

(Les Oraisons méditatives, 2)

Il ne faut pas traiter notre corps

comme si nous vivions pour lui,

mais comme cet élément sans lequel

nous ne pourrions pas vivre.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 18)

L’homme dans l’état animal qui débute

comme apprenti du Christ

doit apprendre à s’approcher de Dieu

pour que Dieu s’approche de lui.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 42)

Je désire donc T’aimer et j’aime Te désirer.

De cette manière, je cours pour saisir

Celui par qui j’ai été saisi, c’est-à-dire

pour T’aimer enfin parfaitement,

ô Toi qui nous a aimés le premier,

Seigneur aimable et digne d’être aimé.

(La contemplation de Dieu, 7)

(…) celui qui brûle de désir et d’amour

trouve près de lui ce qu’il désire

et ce qu’il aime. Aussi celui qui désire

aime-t-il toujours désirer, et celui qui aime,

désire toujours aimer.

Tu combles ainsi celui qui désire

et celui qui aime, ô Seigneur,

sans que l’inquiétude n’afflige

celui qui désire, ni le dégoût

celui qui est rassasié.

(La contemplation de Dieu, 8)

L’amour qui Te fait chérir ceux qui t’aiment,

dans la douceur de ta bonté

et que Tu montres pour ta créature,

ô Créateur plein de tendresse,

c’est de leur inspirer ce désir de T’aimer,

et cet amour par lequel ils aiment

et Te désirer et t’aimer.

(La contemplation de Dieu, 9)

Autre chose est le désir brûlant,

autre chose le sentiment. Le désir brûlant est

une puissance générale et une force

ferme et stable, obtenue par la grâce,

que possède la partie supérieure de l’âme.

Les sentiments ne sont au contraire

que les impressions qui varient

au gré des événements et des circonstances.

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 14)

Dieu est toujours cherché

pour être trouvé avec plus de douceur,

et Il est trouvé dans une douceur telle

qu’elle invite à Le chercher avec plus de soin.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 70)

Je ne Te désirerais pas,

je ne Te chercherais pas,

sans la présence de ta grâce.

Jamais je ne Te trouverais, si ta miséricorde et

ta bonté ne venaient au-devant de moi.

(Les Oraisons méditatives, 2)

Si dans la foi, (l’homme) ne sépare

pas Dieu de l’homme,

il apprendra un jour

à saisir Dieu, dans l’homme.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 43)

Mais pour obtenir et conserver de tels biens,

il faut recourir à une prière

appliquée et prolongée, dans laquelle

la foi est si grande, qu’elle espère tout,

la dévotion est si fervente, qu’elle semble

forcer Dieu, l’amour est si ardent,

qu’il sent obtenir dans cette prière

tout ce qu’il demande, l’humilité est si douce

qu’en toutes choses elle souhaite

non pas que sa volonté,

mais que la volonté de Dieu s’accomplisse. 

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 8)

Celui avec qui Dieu est, 

n'est jamais moins seul

que lorsqu'il est seul. 

Il goûte alors en toute liberté la joie, 

alors il est à lui-même pour jouir

de Dieu en lui et de lui en Dieu. 

Alors dans la lumière de la vérité, 

dans la tranquillité d'un cœur pur, 

la conscience sans tâche se dévoile sans effort, 

la mémoire transformée par Dieu

se répand librement en elle-même, et

ou bien l'intelligence est illuminée 

et la volonté se délecte dans son bien, ou bien 

la fragilité humaine pleure  d'instinct

sur sa propre faiblesse. 

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 10)

Tu demandes ce que tu dois faire,

et à quoi occuper ton temps ?

D’abord, outre le sacrifice quotidien

de tes prières et l’application à la lecture,

il ne faut pas refuser de consacrer

une partie de ta journée

à l’inspection, à l’amendement,

à l’amélioration de ta conscience.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 22)

La prière de demande cherche

à obtenir des biens temporels

et des choses nécessaires en cette vie ici-bas.

Dans cette prière, Dieu, tout en approuvant

la bonne volonté de celui

qui Le sollicite, fait cependant ce que

Lui-même juge être préférable,

et donne à celui qui le prie avec droiture

d’accepter de bon cœur sa décision.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 44)

La prière d’oraison est l’élan profond d’amour

par lequel l’homme s’attache à Dieu,

c’est une conversation

douce et familière avec Lui,

c’est la tranquillité de l’âme illuminée

jouissant de Dieu

autant que cela lui est permis.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 44)

Quelquefois l’élan de l’oraison pure,

cette douce suavité de l’amour

n’est pas trouvée, mais c’est elle

qui vient trouver l’âme. La grâce prévient

alors comme à son insu celui

qui ne demandait pas, ne cherchait

ni ne frappait à la porte.

Comme un fils d’esclave

reçu à la table des enfants,

cette âme encore rustique et sans expérience

se voit admise à cet élan de l’oraison pure,

qui est normalement réservé aux saints

en récompenses de leurs mérites.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 46)

Oui, cependant Seigneur,

je suis absolument convaincu

par un don de ta grâce, qu’habitent en moi,

dans tout mon cœur

et dans toute mon âme,

le désir de Te désirer

et l’amour de T’aimer.

(La contemplation de Dieu, 5)

L’amour de Dieu engendré en l’homme

par la grâce est allaité par la lecture,

nourri par la méditation

et fortifié et illuminé par l’oraison.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 42)

Dieu n’est pas loin de chacun de nous,

car c’est en Lui que nous avons

la vie, le mouvement et l’être.

Nous ne sommes cependant pas

en Dieu notre Seigneur comme

dans l’air que nous respirons,

mais nous vivons en Lui par la foi,

nous nous mouvons et nous avançons

vers Lui par l’espérance et nous demeurons

et sommes fixés en Lui par l’amour.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 51)

Qu’elles s’en aillent et périssent,

toutes mes consolations qui ne sont pas Toi,

ou ne viennent pas de Toi.

(Les Oraisons méditatives, 2)

Lorsque l’âme se voit obliger

de retourner vers les hommes

et les affaires humaines et de quitter

la contemplation de la face de Dieu,

elle arbore un visage resplendissant

dans l’huile de la charité de Dieu,

et se présente ainsi aux hommes,

tant par ses paroles que par ses actes,

voire même par un certain éclat

et par une grâce extérieure manifeste.

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 23)

Si l’âme reste sur terre

avec les hommes, c’est plus

pour leur communiquer la vie de Dieu,

en les invitant à chercher et à saisir

les choses divines, que pour profiter

de cette vie mortelle et humaine.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 51)

L’âme veut ce que Dieu veut,

plus encore, son désir profond a atteint

une telle perfection, qu’elle ne peut vouloir

que ce que Dieu veut.

Or, si vouloir ce que Dieu veut,

c’est déjà Lui être semblable,

ne pouvoir vouloir que ce que Dieu veut,

c’est déjà être ce qu’est Dieu,

puisqu’en Lui le vouloir et l’être ne sont

qu’une seule et même chose.

(Lettre aux frères du Mont-Dieu, 61)

De même que, selon l’évolution

des âges de la vie, l’enfant

devient un jeune homme,

le jeune homme un homme mûr

et l’homme un vieillard,

en changeant de noms

selon les changements de leurs qualités,

ainsi selon le progrès des vertus,

la volonté en grandissant devient amour,

l’amour devient charité,

et la charité devient sagesse.

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 3)

En nous doivent se trouver

quatre dispositions profondes

par lesquelles nous tendons

entièrement vers Dieu.

Quand le Seigneur dit : « de tout ton cœur »,

il demande la volonté tout entière ;

quand il dit : « de toute ton âme »,

il exige l’amour tout entier ;

quand il dit : « de toutes tes forces »,

il désigne la vertu de charité ;

quand il dit : « de tout ton esprit »,

il se réfère à la jouissance de la sagesse.

La volonté en premier porte l’âme vers Dieu,

l’amour la fait progresser,

la charité Le contemple,

la sagesse en jouit.

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 28)

Laissant le corps, tous les soucis

et tous les empêchements corporels,

l’âme oublie tout ce qui n’est pas Dieu,

ne porte son attention sur rien d’autre

que Dieu, et ne s’estime que seule avec Dieu.

Alors elle dit : « mon bien-aimé est à moi,

et moi je suis à lui ».

« Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel

et sur la terre, que je désire

en dehors de toi ? ».

(La Nature et la Dignité de l’Amour, 44)

Extraits de "Guillaume de Saint Thierry",

Nicolas Blanc, Artège, 2010

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